vendredi 20 février 2009

La noria


Elle a 18 ans. Elle arrive du Cameroun, envoyée par sa famille en France pour avoir plus de chances dans la vie. Accueillie par des cousins, elle fait connaissance avec la vie moyenne d'un immeuble gris de banlieue parisienne. Ni défavorisée, ni favorisée, la banlieue, juste anonyme. Elle s'accroche. Elle passe un bac pro. Elle fréquente un voisin, un beau black sénégalais. Ils flirtent un peu, puis beaucoup.  Il finit son apprentissage: il sera électricien, il sait qu'il aura toujours du travail. Il pourra lui offrir un chez-eux. C'est de l'autre côté de Paris... Tant pis, à deux, on n'est jamais seule.

Elle a 20 ans. Elle ose lui dire qu'elle a un retard de règles, même si elle sait qu'il n'a pas trop envie d'avoir un enfant. Il n'a tellement pas envie qu'il la frappe. Une fois. Puis une deuxième fois car elle ne veux pas avorter. Il part, ne rentre pas de quelques jours. Elle est seule, avec son ventre qui s'arrondit. Il revient, mais ne lui parle plus. Du tout. Dans le même studio, c'est pas facile. Il se met de plus en plus en colère, tout seul, sans lui parler. Elle a peur. Un jour il revient avec un ami : "tu pars, c'est pour t'aider à porter tes affaires".

Elle a 21 ans. Elle est maman. Elle a trouvé un meublé à la journée, puis s'est fait héberger chez des connaissances. Ses cousins ne peuvent plus l'accueillir, avec un bébé de 6 mois, c'est vraiment pas possible. Son temps se passe entre la sécu, la PMI, les assistantes sociales, mais surtout en tête à tête avec son bébé. Lui, il tête. Il tête tout le temps. Pour exister, pour survivre. Dix fois, quinze fois par jour il demande le sein. Elle le garde contre sa peau, lui donne son lait. C'est tout ce qu'elle a à lui offrir, ce qui sort de ce corps qui maigrit, qui s'épuise.

Elle a 22 ans. Un soir, dans un couloir, un homme lui barre le passage. Elle a crié. Elle a griffé. Personne n'a entendu. Elle est restée couchée à pleurer dans ce couloir noir une partie de la nuit. Puis quand elle a senti ses seins se gonfler de lait, elle s'est relevée, est retournée vers son petit homme qui l'attendait sans comprendre pourquoi cette absence. Elle a ravalé ses larmes et repris sa vie. Seule. En silence.

Elle a 23 ans. Elle se sent plus légère. Elle a trouvé un amoureux. Un antillais. Il veut l'emmener, lui faire changer de vie, accueillir ce grand garçon. Il habite dans le sud. Elle laisse Paris et ses plaies pour s'installer là-bas, il lui paie un studio, car il travaille et voyage beaucoup. Elle aime ce soleil méditerranéen, même si elle ne sort pas beaucoup, restant coincée chez elle par son petit de presque 2 ans. Malgré les précautions, elle se rend compte qu'elle est enceinte. Il lui dit qu'il a déjà une famille: une femme, trois enfants, une maîtresse suffisent à son bonheur. Il ne veut pas d'autre enfant... Elle cède, elle met fin à cette grossesse. L'homme ne reviendra pas.

Le petit est souvent malade, elle se sent très fatiguée, elle va beaucoup chez le docteur, pour elle ou pour lui. Ou simplement pour parler, pour déposer sa solitude. Elle s'affaiblit et tombe facilement malade : endométrite post-IVG, crise de paludisme, anémie qui révèle une thalassémie. C'est beaucoup en quelques mois, pour une seule personne, qui vit en vase clos 24h/24 avec un jeune enfant, qui demande le sein à tout va. On remet en branle la PMI, des visites à domicile, une association de parents isolés, une place en halte garderie pour la libérer un peu. Mais la solitude est trop forte. Elle rend les clés de son studio, invitée par une tante à la rejoindre à Toulouse.

Elle a encore 23 ans. Elle a déménagé pour la seconde fois en moins d'un an. Nouvelle ville, nouvelle chambre. Elle veut repartir. Elle réussit à arrêter d'allaiter son petit garçon de 2 ans. Elle veut faire une formation d'auxiliaire de soins. Il va en halte garderie une ou deux demi-journée par semaine, mais il faudrait une crèche pour qu'elle puisse s'inscrire à sa formation.

Ce soir elle appelle en pleurs le docteur de son ancienne ville. Après deux mois d'accueil, la tante compatissante lui a dit que pour payer son loyer, ce serait bien qu'elle fasse un peu le trottoir. Sinon, elle ne la garde plus, elle et son enfant. D'ailleurs elle lui a déjà préparé ses affaires pour qu'elle trouve un nouveau logement.

ça ne s'arrêtera donc jamais ... ???

9 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est vraiment un beau texte.

Juste, je peux pas m'empêcher, parce que c'est mon cheval de bataille à moi que j'ai, et que plus le texte est beau, plus ça me fait des frissons plein le dos :

On ne dit PAS "Elle s'est faite héberger". C'est mal. C'est LE mal.
On n'accorde pas "faire" quand il y a un infinitif derrière, c'est bon pour les journalistes de TF1.

-> La jeune actrice qui s'est fait remarquer dans Amélie Poulain
-> Elle s'est fait violer
-> La tarte que j'ai fait cuire.

C'est bête et méchant, mais c'est comme ça.

Mais merci pour toutes les autres lettres du texte.

Euphraise a dit…

Pardon madame :-/, il était tard quand j'ai écrit ces quelques mots...
Ayé c'est corrigé :-)

Anonyme a dit…

Tous ces gens qui ne font pas d'effort pour s'intégrer, c'est affligeant.
Si ça se trouve, elle fait des fautes de grammaire à tout va, genre "je me suis faite violer", c'est inadmissible!

Bon OK, je sors...

Anonyme a dit…

Quelle horreur...
Non, sérieusement, étant philanthrope, un peu rêveuse et complètement naïve et tout ce que vous voulez comme adjectifs derrière, et puis comme j'imagine que ça ne peut être qu'une histoire vraie, n'y a-t-il pas quelque chose que le "docteur de son ancienne ville" pourrait faire ?
Lui trouver un mécène, une crèche, et une formation ? ou juste le généreux mécène, ça pourrait peut-être suffire...
Bon, c'est trop triste comme histoire, je retourne à mes bouquins de rhumato. Les coxarthroses posent nettement moins de problèmes existentiels...

Euphraise a dit…

Ben oui c'est une histoire vraie. C'est pour ça qu'elle est terrible, même si la raconter en quelques lignes, c'est en diminuer la complexité.
En gros, il a déjà fallu faire un gros travail pour un minimum de reprise de confiance personnelle, qu'elle accepte de voir qu'elle avait besoin d'aide au quotidien. Puis travailler sur le lien plus que fusionnel avec son garçon qui la bouffait, le seul repère stable de ses journées, mais sans briser ce lien. Puis faire accepter la visite d'assistantes sociales de la PMI, trouver une place en crèche pour qu'elle puisse se consacrer à se retrouver elle-même, puis un désir de retrouver du boulot...
Mais tous les gentils médecins, toutes les assistantes sociales, les puéricultrices de la terre ne peuvent rien face à la solitude. Et quand une gentille parente vous propose de vous loger, de vous garder le petit quand vous en avez besoin, vous abandonnez vite une ville ou vous n'avez construit aucune attache ...
Pour info, après ce coup de téléphone, j'ai relancé la même machine sur Toulouse en appelant la généraliste qui l'a reçue depuis son déménagement. Depuis pas de nouvelles...

Anonyme a dit…

Cette histoire est terrible, cela me fait froid dans le dos. Tant de solitude, de souffrance ... Nous vivons vraiment dans un monde étrange.

Anonyme a dit…

Le monde n'est pas pire qu'avant: ça a toujours été comme ça, et ça le sera toujours...Alors,sous d'autres formes peut être...
Mais bien d'accord évidemment pour essayer de changer ce que l on peut à son niveau:sinon, c'est insupportable !

Eo a dit…

C'est vrai que c'est terrible, et probablement bien plus fréquent que ce qu'on croit.

J'en reviens pas de la tante qui veut qu'elle tapine !

Un peu de bienveillance....

Anonyme a dit…

quelquefois le vent tourne docteur.
j'avais 20 ans pour le mariage.
21 pour les coups et la grossesse. 22 pour le père qui m'a dit d'aller en "foyer de filles mères" (merci pôpa).
23 pour la place en crèche "temporaire"pour pouvoir chercher du boulot.
24 pour l'enquête sociale (forcément, hein) ordonnée par la crèche, pour le boulot de merde de distributrice de journaux payée au poids, et les restos du coeur.
25 pour la kiné,la ceinture lombaire, et un salaud en bas de l'immeuble.
26 pour le premier boulot de vrp sans salaire fixe. chez les particuliers. deuxième salaud.
27 pour le second boulot. chez les professionnels (on ne m'aura plus).
28 pour la rencontre avec l'homme de ma vie.
29 pour la formation professionnelle. sortie major. comme quoi...
30 pour le boulot très bien payé mais pas éthique (exactement ce que vous pensez, oui, mais y'en faut, des vm, hein.lol)
31 pour le 2 eme bébé.
32 là maintenant de suite.
le vent tourne.
des fois.