vendredi 28 mai 2010

Rides (Arrugas), de Paco Roca


Allez, dans la série des dédicaces, une très belle BD retrouvée dans le désordre de ma bibliothèque, en cadeau- réponse à un instantané savoureux de Borée...

Ernest oublie beaucoup de choses, il ne sait plus trop distinguer le présent du passé. C'est sûr que pour cet ancien banquier, essayer d'accorder un prêt à son fils qui veut lui faire manger sa soupe, la vie à son domicile devient problématique. On lui dégotte une jolie chambre, pas trop chère, dans une maison de retraite moderne, propre, bien organisée avec ses cours de gym, l'atelier cuisine ou la pause couture. Avec une émotion croissante, au fur et à mesure que la démence gagne son esprit, on le suit dans ses découvertes, dans ses déambulations, entouré d'une brochette d'anciens tout aussi paumés et attachants.

Paco Roca, jeune dessinateur espagnol, a beaucoup observé les mécanismes et les fonctionnements des maisons de retraites où il allait rendre visite à ses grands parents. Il déroule ce récit avec une très grande classe. C'est une sorte de miroir poétique et plein de rêve du film Cortex, de Nicolas Boukhrief, qui, bien que fascinant, est avant tout un film noir, un très bon thriller. Au contraire, Paco Roca arrive à donner dans chaque évènement, pourtant lourd et parfois douloureux, une vision légère, avec un humour toujours très respectueux des sujets du récit.

Deux évènements ont modifié pour longtemps ma vision de la maladie d'alzheimer : la participation (en tant que malade) à un jeu de rôle (aaahh les jeux de rôles des FMC...) où l'on m'imposait un soin et une admission en maison de retraite, et la lecture de ce livre. (en VO si vous êtes puristes, c'est savoureux)

Get out !!

Une dédicace spéciale pour Ambre, dont j'ai parcouru le blog avec grande émotion. Merci à toi pour ces instantanés de vie, exprimés avec finesse et sensibilité, autour de l'attente et de la naissance.


jeudi 27 mai 2010

Les essentiels














Une blague entendue récemment : on demande à un étudiant en philo et à un étudiant en médecine d'apprendre l'annuaire pour le lendemain. Le philosophe, placide : " pourquoi ? ". Le carabin, inquiet : " pour demain ?".

Du coup, je repense à un petit florilège de choses fondamentales, indispensables, apprises au long de ces dernières années d'études, et qui me sont vraiment bien utiles dans ma pratique quotidienne :

- le tableau périodique des éléments de Mendeleiev (par coeur, mais que jusqu'à la 4ème ligne, hein, après c'est trop dur)
- le cycle de Krebs
- la représentation graphique des fonctions n, l et m
- différentier et connaître les composés aliphatiques des composés aromatiques
- la classification TNM de toutes les tumeurs qu'un organisme humain pourrait imaginer
- plein de petits os de la base du crâne
- le DSM III, puis IV, puis...
- probablement plein d'autres choses très intéressantes, mais là je sèche, j'ai oublié jusqu'à leur souvenir!! Aidez-moi !!

Illustration : les orbitales de l'atome d'hydrogène (euh, je crois...)

mardi 25 mai 2010

Volte-face

J'ai toujours de la peine à me rendre compte que quelqu'un que j'ai assez bien connu est devenu un gros con.

Je suis amené à accompagner une patiente de 50 ans qui a, disons, une maladie difficile. Du genre pas très sympa. Du style brutal. Elle est sportive, a fait 3 tours du monde en bateau, a toujours eu un mode de vie hyper-sain, aucun antécédents familiaux, dernier comprimé de doliprane pris il ya 15 ans... et puis en décembre, au retour de plusieurs mois de navigation, elle a une grosse gastro-entérite, un peu costaud, selles glairo-sanglantes et fièvre. Broaf, c'est pas si grave.... Ben en fait si. Avec une grosse tumeur du colon. Et puis pas mal de métastases, dans le foie... Bref, depuis janvier, c'est l'enchaînement des chimios, ses tumeurs répondent super bien, elle a un moral d'acier et, au-delà de l'angoisse normale dans une situation comme cela, un espoir de vie et de guérison inattaquable. Accompagnée par une équipe hospitalière, il faut le noter, à la fois techniquement, humainement et professionnellement géniale.

Et puis le mois dernier, elle a fait une sub-occlusion sur ce qui reste de sa tumeur (soit dit en passant après un stage de 10 jours à manger du boulgour et du quinoa chez des potes proches de la nature qui n'ont pas acheté ni une tomate ni une feuille de salade passe que c'est pas la saison...). Le chir propose de réaliser une résection partielle de sa tumeur pour faciliter les choses. Ce grand professeur, tout grand mæstro qu'il est, passe une heure à lui expliquer le pourquoi du comment, à la rassurer, à négocier la cicatrice, la reprise de continuité immédiate (sans l'étape stomie). Jusque là, tout va bien.

Alors elle voit l'anesthésiste. Qui la lamine. Qui en 20 minutes la brise, lui coupant toute la difficile confiance qu'elle a pu construire dans l'équipe soignante. Qui passe toute la consultation à lui dire que de toute manière c'est un cancer de super mauvais pronostic, que l'opération est super risquée, qu'elle risque de saigner la rage. Lui demande si elle a bien fait son testament. Qu'elle ne prévoie pas 10 jours d'hospit comme a dit le chir, mais qu'aussi bien elle restera 6 mois à l'hosto. Que d'abord il est taré ce chirurgien de proposer une opération comme ça à des gens comme elle. Qui lui dit que son dossier il ne l'a pas (ledit dossier est dans la pochette sur la table entre eux deux) et que ça va être galère pour l'endormir parce qu'elle est pas bien grosse. Que pour l'antalgie post-op : "pfff on va voir ce qu'on peut faire"... Bref, ça a été juste un cauchemar. Elle en a parlé aux infirmières qui répondent avec un mouvement d'impuissance : "c'est un pervers, il se régale à faire son sketch aux personnes fragilisées, tout le monde le sait, personne ne peut rien faire". Inutile de dire que c'est un autre anesthésiste qui s'occupera d'elle.

Et quand elle me dit le nom du connard, c'est un jeune chef de clinique en anesthésie, ancien collègue de promo, perdu de vue mais avec qui j'ai dû faire une grosse partie de mes fiestas de P2-D1, faluchard acharné et, de mon souvenir, plutôt sympa. Ben en fait non.

Je suis très en colère. C'est toujours amusant de voir comme certains hospitaliers ont un mépris affiché des patients ou des autres soignants qui les accompagnent. C'est facile de leur jeter la pierre verbalement et de rester confortablement dans son cabinet à se dire qu'on est meilleur qu'eux. Mais là, je pense que le verrou social et "hiérarchique" est largement dépassé. Je n'ai aucun scrupule à dire que je vais l'emplâtrer à la première occasion.

Groarrr !!!!

Illustration : Premières notes du Dies Irae, ("Jour de colère, que ce jour là..."), de la liturgie ordinaire. Extrait du Liber usualis de l'abbaye de Solesme.

dimanche 23 mai 2010

Flic-flac-floc


C'est chouette de déboucher des oreilles, surtout en été !

Parfois il le sait déjà, un peu gêné, ou décontracté, c'est selon... : "Je viens tous les six mois car je fais beaucoup de cire". Mais d'autres fois, c'est la surprise : "C'est bizarre, je n'entends plus rien du tout, mais j'ai pas mal, vous croyez que c'est une otite ?".

Je prend mon totoscope (© Maëlle, 3 ans 1/2) et c'est là que je le vois, tapi au fond du conduit auditif externe : le bouchon !!! Magnifique, imposant, tel Haroun-el-Poussah sur son coussin, essayant de s'étendre dans toute la largeur de l'étroit couloir, obstruant avec grâce l'orifice dont la perméabilité serait pourtant bien utile pour regarder la télé sans réveiller les voisins...

Monsieur, soyez fort, il va falloir opérer.

Alors j'ouvre mon placard magique, et, bravant la tentation de prescrire en une minute un quelconque diluant chimique à mettre dans les oreilles, efficace une fois sur cinq, j'empoigne ma gamelle, mon haricot et une bonne grosse seringue de 50cc. J'ai vite abandonné la poire à double orifice qui ne coule jamais par le bon côté, dont la valve se coince, qui met des plombes à se remplir... La serviette est dépliée, bien calée dans le col de la chemise, débordant largement sur les genoux du sujet. Un peu d'eau tiède ("ça ira comme ça, c'est pas trop chaud ?") et c'est parti. Le haricot collé contre le cou, il faut alors que j'essaie de remplir la boîte cranienne du susdit patient avec le contenu de cette grosse seringue. Bien sûr, ça ne marche pas, et toute l'eau ressort violemment en flux parfaitement opposé à celui que j'essaie d'infiltrer avec le maximum de pression. Ce qui donne une bel effet connu sous le nom de ressac. Mais ce qui peut paraître normal en mer d'Iroise l'est moins sur une table d'examen. Les gouttelettes se font gouttes, puis éclaboussures. Et puis ça coule entre le haricot et la peau, y'a une goutte qui descend dans le cou, là, ça gratte !! Mais tenez-la donc horizontale cette satanée gamelle. Voilà ça y est vous en avez plein les genoux. Y'a une flaque par terre où un gnome de 2 ans, qui regarde son papa se faire laver la cervelle par l'oreille, prend plaisir à barboter.

Ayé, un jus jaunâtre commence à sortir de l'orifice, il est bientôt mûr ! Un dernier p'tit coup. Et pschit !! Plop !! Une boulasse noire-orangée vient de tomber au fond du réceptacle. Allez, courage, plus qu'une oreille !!

Mais vient alors le moment de ranger ma pelle et mon seau. Il faut s'ébrouer, s'essuyer, éponger les traces de la bataille de bombes à eau qui vient de se passer. On rit "heureusement qu'il y a du soleil, je vais vite sécher" . Et en plus il entend !! Miracolo !! Le temps de redevenir des adultes, carte vitale, dossier, chèque, et on se quitte alors avec un petit sourire au fond des yeux, l'impression d'avoir passé un moment de jeu trop court, en espérant que les vagues ne viennent pas trop vite faire fondre notre beau château.

PS : je raconte n'importe quoi, parfois c'est vraiment galère à enlever avec le sourire, ce @&!qs%prx# de sale $zojc£&@!! de bouchon de mer&§§§@xprx#*, mais avec un minimum de fierté et de ténacité, on y arrive. C'est pas une ridicule p'tite boule de cire de §("@?*!! qui va m'emmerder, non mais !!!

vendredi 21 mai 2010

Bon appétit bien sûr !


Moment surréaliste que de passer un temps avec une future jeune maman, très bio, très nature, et avec une tête bien sur les épaules, qui se prépare à accoucher dans quelques jours à son domicile, et qui me demande les meilleures recettes pour cuisiner quelques morceaux du placenta pour reprendre des forces dans les heures qui suivront la naissance...

Après longue et savoureuse discussion (si, c'est vrai !!), je vous livre quand même la solution retenue a priori : émincé de segondines, revenues dans un peu d'huile d'olive (pour les acides gras essentiels) aromatisées au thym (effet anti-inflammatoire) au fenouil et à l'anis (favorisent la montée de lait) et très légèrement salées (pour favoriser la réhydratation et récupérer des pertes hydro-electrolytiques de l'accouchement).

Inutile de dire qu'elle a choisi des ingrédients locaux (le papa ira dans la garrigue récupérer le thym tout frais) pour diminuer au maximum le bilan carbone de la recette :-)

Illustration : L'anis, dans le Kitab al-Diryaq (Livre de la Thériaque), Pseudo-Galien, année 1199, manuscrits arabes de la BnF.

jeudi 20 mai 2010

Bis repetita placent

Et bien voilà, il faut bien que les choses repartent d'elles-même.
Je me rends compte en relisant toutes ces notes qu'il est des instants privilégiés comme des moments douloureux qui méritent d'être gravés quelque part. Qu'il en est de l'écriture comme d'une relation humaine, de la pratique médicale comme des fluctuations de la pensée.
Inspiration.
Expiration.
C'est la vie.