N'étant pas un brillant hélléniste, je change un peu le nom du blog, m'apercevant avoir fait une grosse faute d'orthographe (comment, personne n'a remarqué ? :-)
Reprenons donc le premier aphorisme d'Hippocrate, qui nous est transmis par la traduction de Littré (1844) : "La vie est courte, l'art est long [H TEXNH MAKPH, pour ceux qui ne suivent pas], l'occasion fugitive, l'expérience trompeuse, le jugement difficile (...)"
Traduttore, traditore... N'en déplaise à M. Emile Littré, il me semble que la traduction est mauvaise. Bien que cette phrase me paraisse tout à fait adaptée à l'apprentissage comme à l'exercice quotidien de la médecine, je trouve que considérer cette profession comme uniquement un art est une erreur. Beaucoup de professeurs s'enorgueillissent de nous transmettre "l'art médical", intellectualisation sublimée du soin. C'est faire peu de cas de l'apprentissage pratique et de l'aspect manuel de ce métier.
Pour les grecs anciens, qu'est-ce qu'une teknê ? Il s'agit d'une somme d'un savoir et d'un savoir-faire, d'une connaissance intellectuelle et d'une habileté manuelle ou de manipulation d'un concept. Un certain nombre de professions ou d'activités sont ainsi dénommées, aussi variées que la guerre, la construction des bateaux, le théâtre ou la médecine. On se rapproche déjà plus du concept d'artisanat, que d'art à proprement parler.
Je retrouve encore dans la formation reçue, en amphi, au chevet de malades hospitalisés, en stage chez un praticien, ce double aspect de savoir et de savoir-faire. Malheureusement, cette double compétence est parfois niée. En stage de cancéro, alors que j'étais comme mon co-interne complètement abandonné dans le service en dehors des deux visites magistrales hebdomadaires, le chef de service répétait régulièrement "il n'y a aucun mérite à effectuer un acte technique, n'importe qui peut répéter le geste sans comprendre ce qu'il fait". Etait-ce une manière de se dédouaner, de se déculpabiliser de nous larguer, seuls pour poser voies centrales, ponctions lombaires, injections de chimio intrathécales, cathéters fémoraux, BOM, myélo... Peut-être... En tout cas, c'est réducteur, pour ne pas dire méprisant...
Avec du recul, je pense que la richesse de ce boulot se situe vraiment dans ces deux aspects à la fois. Etre capable d'utiliser son humanité pour écouter, son intelligence pour comprendre, ses cinq sens pour examiner, ses mains ou sa parole pour soigner. Il faut prendre conscience de la multiplicité des champs d'action pour ne pas se couper d'une part de soi-même. Il n'y a pas plus de mérite à détecter, par l'interrogatoire, une pathologie bizarroïde, qu'à déceler un souffle cardiaque ou faire un plâtre, un pansement ou quelques points de suture.
Et, donc, quand grand-papa Hippocrate nous indique que la teknê médicale est longue à acquérir, ne nous tournons pas uniquement dans nos cours, questions d'internat ou dictionnaires médicaux. Exerçons aussi avec allégresse nos mains sur les corps souffrants, n'ayons pas peur du pus, du sang ou de la merde, de toutes ces sécrétions qui sont aussi humaines que les choses de l'esprit. Il faut coudre et plâtrer, panser et palper pour ne pas oublier que l'équilibre psychologique des patients, c'est aussi l'équilibre de leur corps.
- Cadran solaire de la façade de la faculté de Médecine de Montpellier
3 commentaires:
Au cas où, je rappelle que "art" a aussi le sens de "technique", cf. "arts et métiers", ou "l'art et la manière", ou encore "le grand art" (l'alchimie).
Mmh, je dirais 'la' technè, c'est féminin en grec... désolée d'avoir l'air de chercher la petite bête - ce commentaire peut être supprimé après usage (ou non-usage !)
Contente d'avoir découvert votre blog, plaisir de vous lire !
Correction faite :-) Merci de la remarque et de la bonne réception de ces quelques lignes !
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