Entre réalité et écriture. Qu'est-ce qui va influencer la création? Qu'est-ce que la valeur de l'existence humaine par rapport à l'univers lorsque la machine bien huilée de la vie quotidienne est interrompue ?
En 1926, Virginia Woolf écrit un court texte de réflexion qui est publié dans la revue de T. S. Eliot. Elle constate que lorsque la maladie se déclare dans nos vies, une grande part de notre personnalité est prise dans un piège incontrôlable, dans une tour d'observation de l'univers humain. Au delà des souffrances physiques et de l'état d'épuisement, la clairvoyance psychologique s'impose.
Deux notions s'affrontent et se complètent. Tout d'abord que l'intellect le plus fin reste impuissant à décrire l'état de maladie. En effet, autant il lui paraît aisé de nommer les souffrances de l'âme, si riches en émotions et en sentiments, autant l'état de dépendance physique, de souffrance, le simple état fiévreux, ne retrouvent dans notre langage que des mots vides et plats. C'est tout le travail de création littéraire qu'elle remet en cause, constatant que nos souffrances physiques ne sont au final décrites qu'en utilisant à mauvais escient des idées associées aux tourments affectifs, intellectuels, psychologiques. Comment alors se nommer "écrivain" alors que l'on ne peut donner qu'une vision tronquée de l'existence humaine...
Une autre idée qui s'impose dans sa réflexion est le vide de l'existence humaine, qui gravite dans un monde immense et indifférent aux préoccupations qui nous semblent si chères. Que se passe-t-il dans le monde lorsque nous sommes alités, fiévreux, impuissants à réaliser nos gesticulations quotidiennes ? Rien. La Terre continue sa route, les marées ne sont pas modifiées, le Monde continue son existence telle une implacable meule écrasant dans sa rotation les êtres sans même les ressentir.
Loin d'un essai déprimant et sombre, j'ai été touché par la modernité et la fluidité de ce très court texte. Ou plutôt par le sentiment d'intemporalité qui en émane. Les mots et les idées s'enchaînent aisément, comme l'esprit de l'alité qui s'évade, d'une pensée à l'autre, pour finalement trouver un ensemble concret d'idées. Le médecin moderne scientifique et pointilleux dira qu'il n'est plus vraiment d'actualité de rester alité plusieurs semaines pour une "fièvre", comme elle décrit cela... Bien... les mots changent peut-être, l'état de "maladie" reste pourtant bien présent. Il n'empêche, au delà de toutes les souffrances morales qui sont les points d'accroche de beaucoup de nos petits blogs médicaux, les situations de maladies physiques restent difficiles à mettre en mots. J'ai fait une petite revue des blogs que j'ai l'habitude de lire. Et effectivement, relativement peu de mots à propos de la souffrance physique, de l'état de maladie, intimement, physiquement vécu... Beaucoup de billets sur les souffrances morales induites par l'état de la maladie, souffrances du malade, du soignant, colères, coups de gueule, déceptions. Mais du physique, peu... Combien sont pauvres les mots pour dire qu'un être interrompt son rythme de vie pour se coucher et attendre.
A rajouter, donc, dans la case "bibliothérapie" du soignant qui aime réfléchir à ce qu'il fait.
"Il y a, avouons-le, une franchise toute enfantine dans la maladie : des choses sont dites, des vérités échappent étourdiment que la prudente respectabilité de la santé dissimule."
2 commentaires:
Je vais très certainement le lire. Je vis avec un malade depuis maintenant 16 ans et c'est vrai qu'il n'évoque que rarement vraiment ses souffrances.
Je ne lis pas exactement la même chose que vous (quoique beaucoup et très variés), mais connaissez-vous l'auteur Frank TALLIS? Il lie un policer et un médecin (psychiatre) dans des enquêtes assez sordides de Vienne au début du 20è siècle. Le dernier n'est pas super, mais les trois autres sont bien.
J'ai lu récemment "Chroniques de la main courante" qui a définitivement rien à voir avec la médecine, mais est bien réel et très intéressant.
Un livre qui es très bien et touche la médecin, que je viens de lire, est malheureusement en allemand, "Dauerfeuer". L'auteur, médecin de soins intensif, décrit le quotidien de lui, de ses collègues dans le milieu hospitalier autrichien de nos jours (dans les années 1990). J'en ai beaucoup de peine pour certains, moins pour d'autres dans ce livre. Dommage qu'il n'y a rien de tel en français.
"L'atelier du vannier" se trame sous la grande guerre en Provence. Un magnifique roman du terroir. Le dernier Robin COOK (en format poche "Etat critique") est très bien également. J'attends le suivant: en 2011!
Je vous souhaite une belle fin de journée et bonne lecture!
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